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SMART CITIES OU SMART CITIZENS ?
Le numérique permet d’accroître l’ef cacité de réseaux territoriaux existants et de leur adjoindre de nouveaux services mais il fournit aussi l’occasion de reconsidérer profondément la manière dont les services sont produits et utilisés. Nous opposerons ainsi deux manières de concevoir l’impact du numérique sur les territoires.
La version dominante des smart cities correspond à un discours de l’offre qui ne fait qu’étendre au numérique une représentation traditionnelle du territoire conçu comme un ensemble complexe de flux qu’il s’agit d’optimiser. C’est le royaumedel’ingénierieterritoriale.Dans cette approche, l’individu n’a aucun rôle actif puisqu’il s’agit d’extraire les informations que ses comportements induisent, d’en faire un traitement automatisé et de lui adresser en retour les recommandations qui garantissent l’optimisation des flux. Cette approche s’applique aussi bien aux déplacements qu’à la consommation électrique ou la gestion des déchets.
Une autre voie mérite d’être explorée : celle des smart citizens. Le numérique
offre aujourd’hui d’autres moyens de coordonner les hommes en vue d’obtenir un résultat collectif que la coercition ou les prix de marché. Les plateformes permettent aux individus d’interagir pour produire des services collectifs : co-voiturer, co-produire et échanger des informations, développer des services de proximité, favoriser des comportements pro-sociaux (bien être, nouveaux modes de consommation, gestion des déchets, vivre ensemble...).
Cette voie implique un renversement de perspectives. Dans la représentation traditionnelle, les individus sont avant tout mus par des calculs égoïstes. En langage économique, on dira que les individus sont des producteurs d’externalités négatives (congestion, pollution...). Il faut alors les discipliner par des réglementations ou des taxes. N’excluons pas une autre représentation : celle où les individus seraient capables d’autre chose que ce à quoi les réduit la vision traditionnelle. N’écartons pas en effet l’hypothèse selon laquelle les individus sont désireux d’améliorer par exemple leurs déplacements car ils
en ont assez de subir la situation qui leur est faite, mais ils ne savent pas comment y parvenir. Ils sont confrontés à une situation d’impuissance collective. Le problème est de surmonter cette impuissance et de faire des individus des producteurs d’externalités positives, i.e. de fonder l’amélioration du bien-être social sur des interactions individuelles. Le moyen de le faire est de développer des plateformes les mettant en relation et facilitant leur coordination. C’est une voie intéressante à explorer, non seulement pour rendre des services aux individus comme le font déjà un certain nombre de plateformes numériques (Blablacar, AirBnB...), mais aussi pour réduire la congestion, la pollution ou la consommation d’énergie, améliorer la gestion des déchets,  nancer certains projets collectifs, créer du lien social à l’échelle du territoire, etc. Les territoires doivent être très attentifs à ces formes d’innovation sociale que sont les plateformes car elles peuvent constituer un autre mode de production de services à valeur collective.
BIBLIOGRAPHIE
Attour A. et Rallet A. (2014), « Le rôle des territoires dans le développement des systèmes trans-sectoriels d’innovation locaux : le cas des smart cities », with A. Attour, Innovations, n° 43, 253-279.
Bresnahan T.F. et Trajtenberg M. (1995), «General purpose technologies: Engines of growth », Journal of Econometrics, vol. 65, p. 83-108.
Schumpeter J. (1942), Capitalism, Socialism and Democracy, trad. fr., Paris : Petite bibliothèque Payot.


































































































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