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représentations que nous nous faisons de l’espace). Autrement dit, comment faire entrer les usagers dans les dispositifs de la « ville intelligente » sans qu’ils perdent les repères avec lesquels ils construisent leurs comportements et le sens de ces derniers ? La commodité – facteur par ailleurs essentiel – ne peut y suf re. Le risque est alors de ne s’adresser qu’aux coucheslesplussuper cielles,cellesqui sont le plus sensibles aux effets de mode ou simplement de contamination, très faciles à mobiliser, notamment par les réseaux sociaux. Mais on déclenche ainsi une véritable inflation qui peut aboutir à une désorganisation du comportement, à des phénomènes addictifs ou à une dissociation entre différents niveaux de pratiques : ritualisme ou immobilisme dans certains domaines, folie de l’innovation dans d’autres.
La deuxième question concerne les modes d’appropriation des innovations et en particulier des nouveaux services. Il s’agit à la fois de la maîtrise et du sens. Dans les sociétés d’individus qui sont les nôtres, la maîtrise est un point central, à l’échelledel’individuoudel’unitédevie: comment maîtriser son cadre de vie, et se maîtriser soi-même ? Dans quelle mesure la ville intelligente apporte-t-elle
de la maîtrise, ce qui diffère de la facilité ? Recevoir une facture par la poste, remplir un chèque et le poster prend bien plus de temps que de payer en ligne en réponse à un mail, une solution bien plus facile. Mais cette facilité n’augmente pas nécessairement la maîtrise : il se peut que la banalisation des gestes détruise des petits rituels ou les calculs qui accompagnaient et assuraient la maîtrise de la gestion d’un budget personnel ou familial. Si l’on pense aux services urbains, on dira par exemple, qu’avoir la possibilité de connaître à tout moment sa consommation énergétique est un facteur de maîtrise. Peut-être, mais cela peut aussi complexi er l’organisation du quotidien (à combien de choses devons-nous penser à chaqueminute?)et nalementdevenir générateur d’angoisse. Si les gens ne s’en servent pas et continuent à ouvrir grand les fenêtres dans les immeubles basse consommation ce n’est peut-être pas seulement parce qu’on ne leur a pas appris comment faire.
La maîtrise ne suf t pas à l’appropriation, qui a également besoin de sens, c’est-à-dire de la capacité de situer un objectif, un comportement, un choix, dans un univers de valeurs (au sens
large du terme). Des valeurs morales, politiques, religieuses, mais aussi une géographie symbolique et un récit partagé, sinon collectif. Or, si produire la ville résiliente constitue un dé  essentiel pour l’action publique, cela ne suf t pas à faire sens : il reste à l’inscrire dans un récit et une symbolique. On dira la même chose pour la ville intelligente. Récit et géographie symbolique (celle des hauts lieux) n’existent qu’à travers la mobilisation de (des) l’imaginaire(s). La transition énergétique, la ville intelligente ou la résilience, qui se déploient dans le discours rationnel ou militant et dans la référence à des valeurs extrêmement générales et – malgré la pléthore d’images vidéo qu’on leur associe – assez désincarnées (l’avenir de l’humanité) manquent d’adossement imaginaire. C’est aussi pour cela que l’on peine tant à en faire un projet de société. Et sans doute aussi que l’on favorise les interventions d’artistes pourtant moins capables de créer ces imaginaires que de les révéler.
La troisième question concerne le rapport entre territoires et modes de vie. Chaque individu vit dans un ou des « univers » qu’il partage plus ou moins avec d’autres : il s’agit de l’ensemble des


































































































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